vendredi 14 mai 2010

La douce torpeur des arbres - Collectif


La douce torpeur des arbres
[Collectif]


Prologue

Tout a commencé quand ils ont découvert cette fléchette de sarbacane fichée dans la gorge du garde forestier. L'homme était raide de chez raide. Raide à tel point, et dans une position si singulièrement crispée, que l'hypothèse d'un poison rare et fulgurant s'est imposée naturellement à tous, suivie des conjectures folkloriques de rigueur. Les meurtres à la sarbacane demeurent suffisamment rares dans les forêts sarthoises pour que certains gendarmes de Malicorne y voient aussitôt un signe quasi divin, une autoroute dallée de pétales de roses rouge sang, étincelante vers la célébrité et le galon d'or supplémentaire.

Bien sûr que l'affaire n'avait rien d'ordinaire et je ne peux pas les blâmer de s'être engouffrés à fond dans ce qui allait devenir "l'Affaire des Amazoniens". Que l'on comprenne également ma motivation de retrouver rapidement Charles, mon fils aîné, en vacances avec son cher père, votre narrateur. Charles, disparu subitement deux jours plus tôt, justement… avec son jouet préféré du moment, sa sarbacane de compétition... mais revenons-en à la découverte du premier corps... oui, il y eut bien ce premier corps, suivi de bien d'autres, un véritable festival de morts littéralement foudroyés et procédons avec ordre et méthode en commençant par le tout début du début...

Chapitre 1

Eté 2009. Charles venait d'être promu bachelier ce qui s'avéra parfaitement inattendu tant l'énergumène tient les études en horreur. Las de me battre, j'avais, je l'avoue, baissé les bras depuis des mois et rangé mes arguments de père dépassé par l'époque et ses tendances. C'est en tout cas ce qui m'était signifié d'ordinaire et doctement par ma paire de descendance, sa sœur Marie se solidarisant avec tous les combats fraternels dès qu'il s'agissait de me renier.

"- Passe ton Bac d'abord…
- Ce papier qui ne sert qu'aux parents ?
- On en reparlera après…
- Là, j'ai justement un peu de temps, parlons-en maintenant !"

Provoquer des débats familiaux participait aux fondements éducatifs partagés et mis en place très tôt avec ma femme Juliette. Nous avions obtenu des résultats tellement prometteurs que, ces dernières années, nous nous retrouvions finalement piégés, empêtrés et sommés de justifier chaque décision parentale. Convaincre un enfant de huit ans est un exercice élémentaire, faire entendre raison à un ado qui en compte le double, demande à la fois une dialectique solide et une cohérence quotidienne éprouvée. Était donc survenu l'âge où l'on prend son pied à casser ce que l'on a vénéré. Le Bac devint rapidement un champ de batailles où j'accumulais personnellement les défaites cuisantes face à des troupes alliées déterminées. Après avoir sonné la retraite je décidais donc d'adopter un profil bas. Moins le sujet serait évoqué plus il aurait des chances d'être couronné de succès, pensais-je. Ce qui fut le cas.

Charles était donc rentré autant victorieux que soulagé et plutôt fier de m'annoncer le résultat de l'épreuve qui m'empêchait de dormir depuis plusieurs nuits. Après les effusions d'usage, accolade, embrassade, ainsi que les félicitations de rigueur, "Formidable", "Bravo", "Je le savais" (menteur), nous procédâmes au rituel incontournable et jadis promis, à savoir sabrer une Cristal Louis Roederer 2002, héritage opportun d'un vieil oncle collectionneur de millésimes dispendieux. Ce jour-même, après la seconde flûte, je proposais à Charles une virée à deux au pays des rillettes, ce même oncle richissime m'ayant aimablement légué une fermette coquettement retapée au centre d'un domaine de plusieurs hectares de prairies et de bois.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire