vendredi 29 octobre 2010

Fables et comptines de Nawak - Patrick-Olivier Crébacq




- I -
Le voleur d'échelle


Cette histoire me fut contée par un troubadour
Qui arrivait d'un pays d'au-delà des mers
Il raconta si bien de sa voix de velours
Que j'en ai rit à me taper le cul par terre.

Il s'agissait d'un homme, un simplet pour certains
Il était différent et on le jugeait fou
Mais il n’aimait rien tant qu'épauler son prochain
Il rendait donc service dès le matin debout.

Ce jour précisément, un plafond il peignait
Quand surgit à midi un drôle d'énergumène.
Le voyant de la sorte sur l'échelle perché
Il lui tint ces propos d'un absolu sans-gêne,

Vous voilà haut perché Monsieur le Picasso
N'y voyez pas malice, ni désir pulsionnel
Mais vaudrait mieux pour vous vous tenir au pinceau
Car je vais de ce pas vous retirer l'échelle.

Ce qu'il fit aussitôt et sans perdre de temps
Quitta la maisonnée, l'escabot sous le bras.
L'autre gars étonné et plutôt mécontent
Y est encore pendu depuis tout ce temps-là.


- II -
Le charpentier alcoolique


Un vaurien en goguette flânait en Capitale
Humant l'air printanier, lorgnant sur les coquettes,
Il aimait qu'on le vît, qu'on le prenne pour un mâle
Un vrai coq paradant au milieu des poulettes.

Au centre d'une place, il aperçoit son frère
Vendant à la criée son pamphlet de la veille.
Il se décide d'aller saluer le littéraire
Et l'alléger itou de son trop-plein d'oseille.

Et salut frère aimé, quel beau temps n'est-il pas ?
Paris en ce mois-ci est un endroit magique
Toutes ces jambes, ces hanches, ces fesses, tous ces appas
Mes deux yeux ne suffisent à mon désir lubrique.

Sinon, mon cher frérot, j'ai vu le charpentier
Ce matin, au café, après ses trois calvas
Sympathique gaillard mais un peu potinier
Voilà-t-il pas soudain qu'il me parle de toit...

De moi, s'étonne alors le frère déconcerté ?
Je le connais si peu, je le trouve vulgaire...
Non, de TOIT, ce qui est tout différent, pas vrai ?
Sinon, t’as pas dix balles pour me payer une bière ?

Le romancier alors ouvre des yeux énormes
Tout en tendant à son frère sa menue monnaie
Va boire à ma santé et à celle de cet homme
Assure-le, frérot, de toute mon amitié.


- III -
Le bourreau convivial

Par un matin d'été en ce mois Thermidor
Le comte Berthelot Pontbriand de Marzan
Sur l'échafaud dressé, monte en scène, un ténor
Le port fier, l'oeil brillant, pour tout dire, un géant.

Avant de basculer sur le lit de la veuve
Le bourreau fonctionnaire, bon enfant, consciencieux,
Lui propose, avant de se lancer dans l'épreuve,
Un pétard, le dernier, avant de dire adieux.

Poliment et d'un ton qui le caractérise,
Le comte sourit et répond au tranche-tête
Non merci mon cher il doit y avoir méprise,
J'essaye, depuis hier, d'arrêter la fumette.


- IV -
Le Commerçant et le Voleur

Gustave Lebertignac était un commerçant
À Limoges, quartier Sud, il s'était enrichi
Mais les années prospères dataient d'un autre temps
Aujourd'hui, le bourgeois mangeait du pain rassis.

La mode est capricieuse et les tendances instables
Le chapeau aujourd'hui est un achat désuet.
Sa boutique centenaire autrefois si rentable
Lui permettait à peine de payer ses loyers.

Une nuit qu'il dormait à moitié, angoissé
Un bruit inhabituel l'éveilla illico
En panique, en sueur, en chemise et nu-pieds
Il descend l'escalier, trouillomètre à zéro.

Le salon éclairé est sens dessus dessous,
Mobilier renversé et tiroirs retournés.
Au milieu un voleur, de dos, se tient debout
Qui se gratte la tête, il a l'air embêté.

Vous cherchez quelque chose de précis dites-moi ?
Sans se retourner le cambrioleur répond
De l'argent, bien sûr, que voulez-vous que ce soit...
De l'argent ? Moi aussi, cherchons et partageons.


- V -
Le missionnaire succulent

Vendre Dieu aux sauvages n'est pas chose facile
Le père Thibaud l'apprit, trop tard, à ses dépens.
Tandis qu'il sillonnait la savane, tranquille
Il tomba bêtement dans un pur guet-apens.

Transporté au village, en marmite il fut mis
Baies sauvages, oignons frais agrémentaient la soupe
Tandis que faisant cercle, tous ses nouveaux amis
Aiguisaient leur sagaie pour assurer la coupe.

Thibaud transpire un peu dans cette thalasso
Il n'est pas sur ces terres pour jouer au touriste
Et puis, finir en daube comme un simple pourceau
Est indigne, c'est vrai, d'un pur évangéliste.

Dans sa détresse il entend : à qui ai-je l'honneur ?
C'est le chef emplumé qui s'avance tout nu...
À quoi bon primitif, misérable pêcheur ?
Oh, c'est juste pour vous citer sur notre menu.


- VI -
Le zoologue et l’étrange rongeur

Dans l’herbe fraiche et humide d’une margelle,
Comme le doubitchou roulant sous son aisselle,
Dame souris, lascive, joue à Jézabel
Etalant, impudique, ses appas charnels.

Plus la belle fait ses gracieuses galipettes
Dans la mousse soyeuse de cressonnettes,
Plus son pelage, de prime abord gris-crevette,
Se couvre d’une subtile auréole verte.

« Ah ! Qu’est-donc cette diablerie ?», soliloqué-je.
« Suis-je dans le fief du Manda rom, du new-age ? »
Faisant fi de perfidie ou de sortilège,
J’ouvre alors, à fin de notes, mon spicilège.

Viennent trois gaillards probablement autochtones
Qui, sur la souris, doivent en connaître des tonnes,
A en croire le pantalon qu’ils déboutonnent,
Sans la moindre pudeur ni aucune vergogne.

Saisissant l’étrange muridé par la queue
Je le présente derechef à ces messieurs,
Quêtant quelque tuyau sur l’animal pulpeux :
« Ce poil vert signifie-t-il qu’il soit souffreteux ? »

« Nenni » me répond l’un, « trempez-le dans l’eau,
Vous verrez que toujours verte reste sa peau »
« Ou dans une huile» ajoute un autre damoiseau,
«Nul besoin encore de voir un dermato ».

« Mais, » assure illico le troisième larron
« Que ce soit huile ou eau, avec ou sans lardons,
Un escargot tout chaud sortira du chaudron
En lieu et place de ce lubrique raton. »

Je n’oserai jamais narrer cette aventure
Tous se demanderont à quoi donc je carbure ;
Ils m’enverront me soigner en maison de cure
Dans une maison ceinte de hautes clôtures.


- VII -
Le gazier nocturne

Il me vient un merveilleux souvenir d’enfance
Qu’il m’est tant impossible de garder secret
Dans les sombres alcôves de mes souvenances,
Que j’aurais plaisir, à présent, de vous narrer.

Quand, sur le mouvant miroir du lac de Constance
Flottait la lune généreuse de clarté,
Il me plaisait alors d’oser des flatulences
Lorsque dans l’eau claire je me laissais glisser.

Des bulles, des lors, remontaient en abondance
Et le jouvenceau que j’étais riait, riait
Parfois il s’en dégageait certaines fragrances
Dont les senteurs révélaient le dernier diner.

Un soir que je vaquais à la même expérience,
Mère-grand, par l’infâme relent dérangée,
Surgit, tenant ses ciseaux de couture immenses
Et coupa en moult morceaux mon charnu fessier.


- VIII -
Petit Esquimau va pêcher

En ce matin glacé, quittant son chaud repère
Petit Esquimau partait pêcher le saumon
Comme jadis son père ou encore son grand-père
Il se savait brave et voulait se faire un nom.

Il marche depuis des heures contre les vents polaires
Qu'importent les bourrasques, le givre, l'épuisement,
Il avance, bravant les dieux atrabilaires
Il sait que tout au bout c'est son adoubement.

Enfin les cieux se calment et la glace apparaît
Limpide, pure, éclatante, il pose son matos.
Il commence à percer l'orifice adapté
Et qui fera de lui, c'est certain, un colosse.

Mais soudain, une voix sépulcrale retentit
Elle vient du ciel, c'est sûr, aucun doute la-dessus
"MON GARÇON, IL N'Y A PAS DE POISSON ICI !!! "
Il s'arrête et remballe, ma foi un peu déçu...

Il s'en va donc plus loin, recommence son manège
Et la voix aussitôt résonne dans l'espace
"VOYONS MON GARÇON, VA AILLEURS POSER TES PIÈGES !!! "
Mais qui me parle ainsi ? Parce que là c'est l'angoisse...

Petit Esquimau tremble, il craint l'ire divine.
La voix alors résonne, terrible et sans espoir
Provoquant chez lui une montée d'adrénaline,
"ICI LE DIRECTEUR DE CETTE PATINOIRE !!!"


- IX -
La sourde oreille

Voyageur, si d’aventure en terre africaine,
Ton chemin te mène en cette belle oasis,
Ne soit pas surpris si tu vois les indigènes
Bananes aux oreilles vrillées telles des vis.

Nul, pas même l’érudit, n’en sait l’origine.
D’aucun pense qu’il s’agit de coquetterie
D’autres de séculaire coutume bédouine,
Visant à sauvegarder l’esgourde du bruit.

Par un beau matin, un étranger harassé
Posa son havresac à l’ombre d’un fusain
Et, ouvrant son viatique pour se sustenter,
Nota l’étrange attribut d’un de ses voisins.

Pensant à un mal auriculaire incongru,
Il posa son quart-bordeaux et son jambon-beurre
Et décida d’en informer cet inconnu
Mû par le pieux désir d’un acte salvateur.

« L’ami ! N’allez pas voir en moi de l’ingérence ;
Mais j’avoue n’avoir jamais vu chose pareille :
Je ne sais s’il s’agit d’ergot ou d’excroissance,
Vous avez une banane dans chaque oreille ».

L’homme demeurant muet, il réitéra
Et insista plus que ne le permet l’usage.
Pour finir, le berbère sa banane ôta
Faisant ainsi sinistres bruits de cartilages.

« Etranger! Il me semble sans en être bien sûr
Que vous tentez de me narrer quelque vanne
Mais mes pavillons n’en on capté que brisures
Car il se trouve que j’y ai niché des bananes »


- X -
Le condamné malchanceux

Mon ami poète narra il y a peu
L'histoire d'un pauvre malandrin condamné
Qui, au moment fatidique de dire adieu,
Décida in situ de cesser de fumer.

Il existe au sujet de cet échafaudé,
A mon tour je vais la conter, une rumeur,
(Était-ce le bourreau, sa morue ou dédé?)
Une anecdote plus-rigolote-tu-meurs:

Au matin de l'appel vers son fatal destin,
Le futur occis, au sortir de sa cellule,
Ému,sans doute, car plus de clope, enfin!
Oublia qu'il était gaulé comme un hercule.

De fait, son crâne heurta l'huis, y ripa son nez,
Il tomba, se fit fracture et autres tourments.
Marri, il grogna:"ça sent pas belle journée!.."
Pour ma part,je trouve cela fort truculent!..


- XI -
Les 3 Gorets

Dans la douce campagne de Haute-Moldavie,
Ce pays qui connu tant d'illustres portraits,
Vivaient très heureuse et en totale harmonie
La famille de Monsieur et de sa Dame Goret.

Ces deux-là ont trois beaux adorables petits
Mais vous savez sans doute comment sont les enfants
On a beau faire au mieux, on est parfois surpris
Les trois marmots se révélèrent bien différents.

Le premier est virtuose et veut être musicien
Le deuxième sur les planches aime s'envisager
Le dernier, bricoleur, est la fierté des siens
Mais tous trois sont unis, normal ils sont triplés.

Tradition familiale, ils seront architectes
Les ancêtres Goret s'y sont tous exercés
L'ambition parentale est glosée, deux objectent
Mais le père fait savoir qu'aucun choix n'est donné.

À la ville ils iront se former à cet art
L'heure est venue pour eux de quitter la maison
Il n'est pas un Goret qui ait fait de ses chiards
Un fainéant parasite, une demi-portion.

Ainsi donc ils s'en vont après bien des adieux
Mère Goret est en larme, ses petits partent loin
Le père quant à lui, reste digne majestueux
Il pleurera plus tard, une fois seul, sans témoin.

Et les voilà en route, en ce jour de juillet
Mais déjà ils lambinent et font des galipettes.
Deux sur trois en tout cas ne pensent qu'à jouer
Le dernier comme toujours leur gâche un peu la fête.

À ce train, leur dit-il, nous serons en retard
Lâche-nous s'il te plaît, s'entend-t-il rétorquer
Nous avons la semaine pour rejoindre Magyar
Restons là deux, trois jours histoire de rigoler.

Et bien soit, c'est d'accord mais à une condition
D'un abri pour nos nuits nous aurons tous besoin
Bâtissons avant tout chacun notre maison
S'il vous plaît, pour une fois, travaillez avec soin.

Le premier sort alors aussitôt son violon
Et s'en va gambader dans les prés en jouant
J'ai bien le temps pense-t-il, pour mon cabanon
Il n'est rien de plus fort que mon bel instrument.

Le comédien, fâché se drape dans sa cape
Comment peut-on ici exercer son talent ?
Tu y comprends peau d'balle, lâche-nous donc la grappe
Construis-toi ton isba puisque tu y tiens tant.

Qu'il en soit donc ainsi, je vous aurai prévenu
Règne ici en seigneur un prédateur féroce
Sans abris nous risquons d'être inscrits au menu
Et de connaître ainsi une agonie précoce…

Tandis que les frérots farandolent ailleurs
Le bon petit maçon prépare son mortier
Et dresse peu à peu quatre murs protecteurs,
Pose dessus un toit rouge et sa belle cheminée.

À peine l'œuvre magistrale est-elle parachevée
L'observant en détail, en parfait connaisseur,
Surgit du champ voisin un nuage de fumée
C'est le grand prédateur sur son puissant tracteur.

Ses frères sont loin et, pour l'instant, ne craignent rien.
Il se réfugie illico dans son bunker.
Le Pagu freine à mort et stoppe son engin
Acré Nom de Dieux ! Ça, c'est vraiment pas casher.

Millediou, qu'est-ce donc que cette porcherie ?
Encore un qui se prend pour un Le Corbusier
Franchement, les portées de l'année sont pourries
Je m'en vais te transformer tout ça en pâté.

Il embraye la première et fonce droit devant
L’abri inconséquent est rayé du pays.
Le goret bâtisseur déguerpit en couinant
Sachant qu'il finira sa course en charcuterie.

Le fermier le capture et l'égorge d'un trait
Et tandis qu'il se vide lentement de sa vie
Il voit au loin ses frères continuant à danser
Sous le regard bonhomme du bourreau attendri.

Notre père avait tort et vous aviez raison
La vie ne donne pas ce que l'on attend d'elle
Mieux vaut rire, chanter et danser à foison
Seuls plaisirs et délices ici bas sont réels.


- XII -
Les canards facécieux

Mon ami Hiolito, chaque jour que Dieu fait,
Me sort la même vanne, inexorablement.
Il ne s'en lasse pas, jamais au grand jamais
En fait il est toujours resté un grand enfant.

Ce matin, comme toujours, je suis fort en retard.
Il m'attend, embusqué et me lance de très loin
Sais-tu ami Patbac où se cachent les canards ?
Mon silence en dit long. Il répond… DANS LES COINS !


- XIII -
L'escargot hémiplégique et le guépard olympique

Raoul Jambouille, gastéropode de son état,
Avait un rêve fou qu'il tenait de l'enfance.
Il se voyait champion, non pas de canasta,
Mais de cent mètres haies, bigre, quelle espérance !

Le problème du mollusque, chacun l'aura compris,
Réside dans son manque absolu de ressort.
Quand on sait que Raoul souffre d'hémiplégie
On attend, c'est certain, un grand moment de sport.

Il s'entraîne, il en veut, il cherche le podium,
Les honneurs, les vivats et puis aussi les femmes.
Il se voit concourir au prochain critérium,
Devenir un héros, celui que l'on acclame.

Il réside, de ce fait, pour mieux se préparer,
Sur le bord de la piste, en couloir intérieur.
Il voit passer ainsi, qui viennent s'entraîner,
Des coureurs parmi ceux que l'on dit les meilleurs.

Un surtout, le fascine, c'est une vraie fusée,
Il s'agit de Brandon, un félin fort véloce.
Et même si ce dernier gagne tout chaque année,
Raoul sait bien qu'il peut faire chuter le colosse.

Alors donc, il se lance, il faut qu'il se compare
Savoir si son niveau mérite qu'il persévère.
Un jour, que près de lui, s'arrête le guépard
Aussitôt il l'aborde d'un ton de va-t-en-guerre.

Oseriez-vous, Mon Cher, vous mesurer à moi,
Savoir si vos jarrets sont toujours en acier ?
Je parie bien que non, j'en ai fait le constat.
En vous voyant courir, j'ai eu de vous pitié.

Votre gloire est passée et vous le savez bien.
Vous étiez une étoile mais vous ne brillez plus.
Au mieux pourriez-vous devenir marathonien
Mais la vitesse, pour vous, désormais est exclue.

Certes vous possédez l'allure et la prestance
Un pelage design, des yeux ensorceleurs,
Une classe naturelle, une grande élégance
Vous êtes sûrement des dames le tombeur.

Mais ici sur ce stade, fini les faux-semblants
Nous sommes entre champions et vous lance un défi.
Je compte vous infliger un revers offensant
Un de ceux qui détruisent le restant d'une vie.

L'Express de la savane le regarde, médusé.
A-t-il bien entendu l'harangue du baveux ?
La moustache vibrante il répond au fluet
Ainsi soit-il, prenez la une, je prends la deux.

Au blaireau qui passait dans le coin par hasard,
On confie l'arbitrage et le chronométrage
Et quand arrive enfin le signal du départ
Les concurrents s'élancent dans la course sauvage.

Le guépard se permet dix allers et retours
Histoire de confirmer son insolente forme.
L'arbitre annonce alors le vainqueur du concours
Et déclare perdant le mollusque difforme.

L'épreuve n'a duré qu'une brève minute
Et Raoul n'a conquis qu'un maigre millimètre.
Il aurait bien aimé remporter cette lutte
Il sait qu'il peut le faire, une autre fois, peut-être.

Le Champion le saisit entre deux griffes blanches
Le contemple un instant et l'avale d'un coup.
Allez, mon petit vieux, à charge de revanche,
J'espère que tu n'as pas un sale arrière-goût.

À souhaiter être un autre, il faut raison garder
Et vouloir concourir contre un parfait champion
Est une couillonnade, vous l'aurez constaté.
On peut donc affirmer : La Fontaine est un con.


- XIV -
L'agenda en croco

Deux mille avant J.C., l'Egypte est rayonnante,
Son Empire s'étend bien plus loin que jamais.
L'armée de Pharaon toujours plus conquérante
Impose sa culture et ses divinités.

Pendant ce temps le Nil fertilise la terre
Et voit ses crocodiles se dorer au soleil.
Ils sont grands, ils sont gras, pour tout dire prospères
Pratiquant avant tout les bienfaits du sommeil.

Ce jour précisément un groupe se réveille
Qui s'étire, se dérouille, tout encore engourdi
Et puis l'un dit alors en baillant aux corneilles :
J'me fais pas à l'idée que l'on soit Mercredi.


- XV -
L’ignare et le Faiseur d’ombres

C’était la fin d’un jour gorgé d’éblouissance,
A l’heure où les ombres s’étirent de sommeil
Et le soleil aux hommes fait sa révérence,
Dardant dans les yeux ses derniers rayons vermeils.

Un voyageur, las de chaleur et de poussière,
S’abreuvait de fraîcheur au pied d’un marronnier,
Lorsqu’une scène pour le moins singulière
Lui fit oublier ses cloques et ses maux de pieds :

Un quidam observait, juché sur un rocher,
L’horizon déversant ses ultimes éclats
Sur les vitres des fermes et ses dents ébréchées,
Sans que, semblait-il, la lumière ne l’aveuglât.

Il portait sa dextre paume à l’horizontale
Plaquée en chanfrein sur la ligne des sourcils
Juste au-dessus de ses cavités orbitales,
Enfonçant celles-ci dans une ombre adoucie.

Le voyageur apostropha donc le solitaire :
« Mon ami, pardonnez ma curiosité,
Quelle est la raison de cette pose palmaire
Dont vous faites grand usage de votre guet ? »

« Je vous répondrai, cher pardonnable ignorant,
Que j’ai découvert ceci un peu par hasard.
Avant, je plaçais la main verticalement,
Là, contre mes yeux, et j’étais dans le brouillard.»

Rusé et devinant juteuse découverte,
Le voyageur prit moultes notes et esquisses
Afin de ne point oublier le fameux geste
Qu’il monnaiera en même temps que ses épices.


- XVI -
La blonde aquaphobe

Le long d’un ruisseau, une jeune blondinette
Que la nature dota de tout hormis de tête
Batifolait et faisait sauts et galipettes
Digérant du midi flageolets et paupiettes.

Peu consciente que la berge fut si pentue,
La sotte ripa et, bien que s’étant battue,
Finit fatalement par choir toute vêtue,
Dans l’onde rejoindre silures et hotus.

Une fois sortie de l’eau et ses oripeaux essorés,
Elle repartit, mais un nouveau coup d’arrêt,
Une sournoise branchette, un coupe-jarret
La fit trébucher et les poissons retrouver.

La benette, à nouveau sortit de guerre lasse
« Assez de ces rus et rivières! Je me lasse ! »
Et elle s’en fut…Comme le disait Ignace :
« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse »


- XVII -
La femme d'Archimède

Au chapitre édifiant des grandes inventions
De celles qui portent haut l'inspiration humaine
Il en est une brillante, pour tout dire d'exception
Qui transforme les autres en viles calembredaines.

Syracuse, l'antique, est une cité prospère
Le commerce et les arts y sont très florissants.
Un savant consciencieux, mari aimant, bon père,
Exerce ce métier plutôt enrichissant.

Le métier pour tout dire est assez éprouvant
Car en plus de penser, notre homme expérimente
Et c'est une baignoire d'un liquide bouillant
Qui cause à son corps des brûlures violentes.

Trop torride à son goût, le trempage quotidien
Mine notre penseur qui souffre mille maux.
À tel point qu'un beau jour, il avertit les siens
Qu'il décide d'arrêter car il n'est pas maso.

Sa femme attentionnée, inquiète mais finaude
Recherche intensément une idée salvatrice.
À cause d'une théorie et d'une eau bien trop chaude
L'affaire familiale est au bord des abysses.

Soudain l'idée jaillit, flagrante et lumineuse
L'évidence était là, elle en pleure de joie.
Mon bon mari, dit-elle, d'une voix enjôleuse,
Vos souffrances ont enfin un remède adéquat.

À une mesure d'eau froide, mélangez-y alors
Une ration égale d'une même eau brûlante.
Vous tremperez ainsi de façon indolore
Votre mâle personne que je trouve charmante.

SI cette eau tempérée, rebaptisée eau tiède
Coule aujourd'hui de source de tous nos robinets,
Rendons ici hommage à Madame Archimède
Qui créa ce bienfait pour son époux aimé.


- XVIII -
La Rappeuse et la Banquière

Dans la liste infinie des assertions idiotes
Tout, de notre ami Jean, peut être contesté.
De ses fables aujourd'hui les morales vieillottes
S'accommodent fort peu de notre société.
L'évolution des mœurs, les valeurs différentes
Sont aujourd'hui la cause de ce grand décalage.
Le vice et la vertu bien souvent s'apparentent
Et prennent à l'envie la tête de l’attelage.
Ce qui honni hier sera demain aux nues
Ou bien alors goûté et puis enfin vomi,
La société humaine est ainsi saugrenue
Que rien n'est éternel, rien n'est jamais acquis.

Voyez Marie-Chantal, ce qu'elle fit de sa vie
Vertueuse caricature, en tous points admirable
Directrice de banque, elle devint par envie
Et obtint un statut parmi les plus enviables.
Salaire, SICAV, actions, elle en veut toujours plus
Amassant dans son coffre les fruits de son labeur.
Elle s'échine sans relâche à courir les bonus
Pensant avoir saisi l'essence du bonheur.
Et puis survint la crise, le krach, le cataclysme
Tout ce qui fut acquis ne vaut plus un kopeck.
Elle en perd le sommeil, sombre dans l'éthylisme
Se retrouve à la rue, sans emploi, au pain sec.

Dans un autre quartier, au-delà du Périf
Dana, la belle arabe, rappeuse de vocation,
Chante pour ses amis, se paye de sacrés kifs,
Ne pense qu'à la zique, s'y donne sans concession.
Elle vit l'instant présent, à fond dans son délire
Perfectionnant son art chaque jour d'avantage
Elle envisage même bientôt de se produire
En quête de viva elle part à l'abordage.
De concerts en tournées, les fans se multiplient
Et se comptent désormais en centaines de milliers
La belle est au sommet, son rêve s'est accompli
Elle possède aujourd'hui, richesse, gloire et succès.

De l'austère fourmi, avide et amasseuse
Ou bien de la cigale, chanteuse et insouciante,
Qui mérite vraiment de vivre bienheureuse,
Quel modèle choisir, quelle est l'option gagnante ?
La Fontaine en son temps glorifiait la rigueur,
Et il y a peu encore la peine était vertu
Mais aujourd'hui macache, c'est le souk des valeurs
Jeannot t'es dépassé, mon vieux tu l'as dans l'…

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